+Poésie : Mouvements enchâssés (à Brigitte P.)

Rêverie

Désormais la rivière et ma promeneuse à son bras
inhalent l’hiver et le réchauffent de leur souffle,
évoquant la patience et la confiance sans douleur,
le pain partagé dans l’attente de journées moins rudes,
les longues veillées d’amis à la lisière du feu
et la douceur de laisser s’exprimer les beaux silences.

De la première et de la seconde je suis captif,
l’une et l’autre sont femmes, l’une et l’autre sont rivières,
je n’y cesse d’apprendre combien vivre est bonheur
à l’écart des faux-semblants, au périmètre des simples
où il ne s’agit que d’être en harmonie avec soi.
Je m’immerge au long déroulement de leurs paysages.

 

Humble bilan d’étape

Au commencement de notre belle route commune
je ne pensai pas fatiguer la salade avec toi,
inspiré, aspiré, par les bien plus hautes urgences
auxquelles à nul prix je ne me fusse dérobé.

Emplir ta vasque au point de ne plus m’aimer hors de toi,
ne sachant plus si tu trouvais toujours bon que j’existe,
que les pluies innombrables n’altèrent jamais ma soif
d’épiphanie intime, de soleils recommencés.

Au contraire, gardant nos fusions du cœur et du corps
constamment devant moi comme phares en points de mire,
je lisais notre livre en même temps que des traités
de passerelles étroites entre la chair et l’âme.

Notre part incontrôlée le cède aux méfaits du temps,
visage qui se creuse malgré soi, on s’en rend compte,
mais en toi et moi reste la part de ravissement
que rien n’atténue dans notre attirance réciproque.

 

 

Epanchements

Aimons-nous pour prémunir le pauvre lopin de terre
que nous circonscrivons par notre regard et le cœur
contre l’embrasement du mépris et de la violence,
de l’engrenage de vengeances sans fin ni vaccin.

 

Toi et moi sommes ce bras de Sorgue et cette saulaie
précaires comme jamais, si près des blocs HLM
qui menacent sa survie par enfants interposés,
notre sort ne tenant qu’à celui de l’eau et des arbres.

 

Aimer veut sans doute dire travailler à aimer,
sinon j’avoue ne guère voir ce que ça pourrait être,
on n’est pas visités par la grâce à tous les instants
et entre les bonheurs s’interposent des terrains vagues.

 

Dans le fond de tes yeux demeure la maison
que depuis mon mince toujours je rêve mienne ;
sa sûreté à sa lumière le dispute.
Elle a les murs et la toiture transparents.

 

S’il advient que mon rêve soit un jour réalité,
affamé de toi comme au premier matin du monde,
ivre de ta rosée je savourerai l’alchimie
jusqu’à boire même la mort au fond de ton calice.

 

Ton sourire, fuselé comme une balle en plein cœur,
m’a porté un tel coup que j’y ai accueilli la foudre
et me suis rendu compte qu’elle nous voulait du bien,
alors que me mordaient les pires doutes sur moi-même.

 

Ainsi un rien peut faire qu’on cesse de se répondre,
comprenant ta vie et la mienne pendues à un fil,
au plus fort même des joies parties pour être éternelles,
quand on ne peut être sûrs d’aborder l’instant suivant.

 

Rabais exceptionnel dans le coût du bonheur :
moins cent pour cent : cela peut aussi nous être possible,
en vérité palpable, mais si fugitivement
qu’on en a dès après une sensation de mirage.

 

Il pleut sur nos cheveux des éclaboussures d’automne,
comme si l’été déjà finissant se rebellait
avant d’apponter sur la passerelle des récoltes
où nous sentons que nous allons perdre autant que gagner.

 

Nos yeux s’ouvriront-ils au prochain lever du soleil,
la journée ne se révèlera-t-elle pas trop longue
à la défaveur d’un coup de foudre sans lendemain,
des moineaux n’ayant pu regagner leur nid dans les branches ?

 

Jusqu’à ce que vie s’en suive, aimer, toujours aimer,
transformer notre banalité en neuves merveilles,
pour enfin nous approprier la lumière du jour
sans quelques erreurs de jugement avérées mortelles.

 

Aimer l’amour dans un état de grâce permanente,
non celui qui fait passer la charrue avant les bœufs
et dévore l’autre, pas non plus celui du seul verbe :
aimer l’amour nous enveloppe d'un cercle parfait.

 

Mon amour ne me trouve-t-elle pas accaparant,
peut-être même, indiciblement liberticide 
par le simple fait de rester près d’elle, toujours là ?
Question incongrue que je n’ose jamais lui soumettre.

 

Ne prétendre qu’aux bonheurs les plus intimes et simples
sans rapport de dépendance avec le monde extérieur,
la gageure déjà bien audacieuse de survivre
suffisant presque toujours à nous les parasiter.

 

Le sacré, parfois : juste ta main posée sur la mienne,
ton visage souriant qui a surgi devant moi
et aboli de ma nuit les traces résiduelles
me retenant sur son versant glauque où je me perdais.

 

 

Nous sommes aussi ces herbes adventices ou folles,
brins de paille ramenés à notre légèreté,
qui fatiguons le vent adversaire des équilibres ;
ses grands souffles nous inclinent mais nous restons présents.

 

Vienne du froid la douce compensation dans la chair,
son tendre éparpillement qui en chaleur la transforme,
livrée sans la retenue au doux tumulte des corps
en marge des allées balisées de la bien-pensance.

 

Rien n’est plus haut sur la pyramide des plaisirs
ni au-dessous dans celle des erreurs à commettre…
S’il n’est douceur terrestre que combat la vertu
je garde l’intime religion de nos jouissances.

 

Souvent ma chair se rêve au fond de ta chaleur,
nous fusionnons en vol sur le dos d’un nuage,
mon prénom dans ta bouche est principe de tout,
je frissonne de boire ta reconnaissance.

 

Toute action est comme une course avec la nuit
qui s’ébranle toujours en même temps que nous,
déjà plus loin que l’arbre que nous regardons,
précédant notre marche en unique éclaireuse.

 

Après l’envol d’un geste simple
se posent tes doigts migrateurs,
épousant la forme concave
de l’espace autour d’un objet.

 

Nos mains nous amarrant l’un à l’autre, ne plus penser
qu’à toujours plus fabuleusement me vider la tête
en m’immergeant dans tes rires et soupirs contagieux
pour être mieux ensemble, hors du monde et en son centre.

 

La langue, sorte de chair où se mêlent nos fibres
par sa presque aussi redoutable sensualité,
voit la douceur et la violence conjuguer leur force,
heureuses dans l’estuaire de l’Acte partagé.

 

Chacun berger des soupirs de l’autre nous avançons,
douceurs tirées de la conscience du provisoire,
victoires courtes mais définitives sur la mort. 
Plus proche que contre, c'est en toi que je me retrouve.

  

 

De pareille journée la rêverie reste captive :
(un récurrent multiple de cinq ce vingt, doux et rond,
c’est bien nous deux cette fois conjointement, qui naquîmes)
sur le mode de l’éternellement inaccompli.

 

Nous résistons

Nous voici au plus près du cours naturel des choses,

côte à côte égrenant la succession des instants,

assis sur le tronc fraîchement coupé d’un platane,

sur la berge, pris tous deux entre l’eau et le ciel ;

nous sommes ce que donne à ressentir la nature :

éléments, que la matière a combinés en chair.

Comme souvent mon bras sur ton épaule posé

freine un peu, pour moi seul, la liquidation du monde,

quand nos propos à la dérive vers tout et rien

donnent au matin plus de place qu’à nos angoisses,

à nos rires qu’à mes appréhensions de la nuit,

à quelque chant d’oiseau plus qu’à la chute des arbres.

 

Faiblesse

Quand je te vois t’éloigner pour promener la chienne

j’éprouve toujours l’absurde pincement au cœur

de qui ne sait à quelle nature de partance

sa vie le confronte au juste : avec ou sans retour.

Tu vas sombrer sous mes yeux au virage de la route

qui ressemble chaque fois au coude du boomerang

avec tout ce que cela comporte d’incertitude

d’instant en instant, sur les conséquences de nos pas.

Eviter de penser l’aléa serait plus facile,

presque un automatisme dans le jeu du quotidien,

pourtant à bien des moments me saisit une inquiétude,

lorsque je t’ai perdue dans mon champ de vision

et que ramené alors à la source du silence

je reste sans le socle de confiance sous mes pieds

que me rendront les regards de douceur dont tu m’englobes,

du moins si toutefois, certes comme le plus souvent.

 

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